La Torche mène, depuis trois bonnes années, une enquête au long cours sur les “autres” raisons à l’origine de violences, tensions et conflits en tout genre dans les écoles obligatoires et post obligatoires du Canton du Jura.
Pourquoi “autres raisons”? Parce que celle invoquée spontanément condamne les parents. Parents démissionnaires, parents laxistes, parents absents, etc. Faut-il les sanctionner? Les former? Sont-ils seuls responsables? Vous verrez que, dans cet essai, nous poserons plein de questions. Aux politiques de trouver les réponses dans les méandres de cet article rédigé d’une traite et par conséquent certainement décousu. Lançons-nous!
Parents/enseignants: même combat?
Etre parents en 2023 n’a plus rien à avoir avec la parentalité du 20e siècle tout comme être enseignants-es en 2023 n’a plus rien à avoir avec l’enseignement des années 50. Et d’ailleurs, il vaut mieux parler d’éducation (“educere” en latin qui signifie “guider”) plutôt que d’enseignement car un enfant n’a pas réellement besoin de nous pour apprendre. Il a tous les outils sur Youtube notamment…. Mais il a besoin d’un cadre, d’un guide, d’une référence, d’un modèle qui sache “lui faire prendre conscience à chaque instant qu’il est responsable du devenir de tous.” (Albert Jacquard). Parents, enseignant-es, moniteurs-trices, éducateurs-trices sportifs-ves, chefs-ffes, etc jouent ce rôle. Sont-ils tous et toutes conscients-es de l’immense responsabilité qui en découle et faut-il les sanctionner s’ils n’en ont pas conscience? Sont-ils informés que l’objectif est le même pour tous? A savoir que chacun souhaite avoir des enfants/élèves/étudiants/employés/ heureux et épanouis? Faut-il les sanctionner pour cette incompréhension?
Il est joli votre cadre, mais il est vieillot!
Les sciences de l’éducation ont, à présent, suffisamment de recul, d’études, pour être suivies et respectées; par exemple, une gifle n’est plus admissible: on ne peut pas dire à un enfant: “Tu ne frapperas pas tes camarades et soi-même lui mettre une “dérouillée”!
Parmi les besoins fondamentaux, relevons qu’un enfant a besoin, entre autres, d’amour, de confiance, de dialogue, de sécurité, (…) et de cadre. La liberté, ce n’est pas l’anarchie. Les dessinateurs-trices de La Torche le savent bien! Un cadre est rassurant à l’instar des glissières de sécurité sur la course de côte Saint-Ursannes – Les Rangiers. Ce cadre ce sont la société, les parents, l’école qui le définissent notamment. Les parents et les enseignants sont-ils sur la même longueur d’ondes? Notre sondage informelle (sans valeur scientifique) relève que 99% de écoles ont un cadre clair dès la rentrée scolaire. Où est donc le problème? Dans la communication? Probablement. L’on se rend compte en effet d’une part que les parents ne sont pas toujours présents aux différents rendez-vous proposés par les écoles, et d’autre part que les règles ne sont pas toujours expliquées, reformulées, écrites et diffusées afin que parents et enfants/étudiants soient au clair tout au long de l’année. L’enseignant exprime-t-il donc clairement ses missions, ses buts, ses compétences et disponibilités? Pour parler de cadre, il faut un cadre, non?
Le sens du cadre, le sens de la sanction, le sens du règlement, le sens des règles du savoir-vivre ensemble doivent donc être en permanence explicitées. Non pas sur une seule séance inaugurale de rentrée mais bien tout au long de l’année. Le lien entre la société et l’école doit donc être permanent. Nos avons rencontré des enseignants qui se contentent d’une seule réunion d’une heure puis, soulagés, n’ont plus de contacts avec les parents. Et sont bien contents de ne plus en avoir! Or, parents et enseignants ne sont pas ennemis. Nous avons d’ailleurs cet exemple hallucinant de O.T., professeur de d’espagnol et de sport au lycée cantonal de Porrentruy à qui nous avons demandé un rendez-vous le 30 juin dernier, avant de le relancer quatre fois entre juillet et août et qui, à ce jour, n’a toujours pas daigné répondre… Le cadre, ça se discute, ça se partage, ça peut même évoluer. Encore faut-il pouvoir en parler! On revient sur le terrain de la communication… Moins on se voit, moins on se parle; moins on se parle, moins on se comprend; moins on se comprend, moins on se respecte. CQFD.
L’humilité et l’empathie sont des compétences
Il est plus facile de trouver des coupables, de sanctionner, de dire c’est la faute des parents, c’est la faute de ces sales jeunes, c’est la faute des profs, etc que de remettre toute la société en question et tous les acteurs-trices à leur place. La société devrait être au service de l’école et non l’inverse. Nous avons rencontré des dizaines de patrons-nnes d’entreprises avec cette simple question: qu’attendez-vous de votre employé-e ou de votre apprenti-e. L’immense majorité des réponses étaient: qu’il soit ponctuel, qu’elle se remette en question, qu’il reconnaisse ses erreurs, qu’elle soit motivée, qu’il soit respectueux, loyal et fiable, qu’elle aide les autres, qu’il soit poli. Pas une fois, pas une, on nous a répondu: un 6 de français, un 6 de math, un 6 d’allemand! Si l’école devait réellement être au service de la société, alors cette dernière devrait radicalement changer les branches évaluées. La société pour être au service de l’école devrait donc changer les lois, changer les programmes et permettre, aux côtés des calculs, de l’écriture et de la lecture de développer et évaluer le savoir-être et le savoir-faire et pas uniquement le savoir. Nos élus-es doivent donc faire preuve d’humilité et remettre en question un système qui fout la pression et qui rend malade (“Tu verras à l’école primaire, faudra travailler“, puis à la fin de l’école primaire :”tu verras, à l’école secondaire, c’est plus dur“, puis à la fin du secondaire: “si tu veux aller en études, il faut davantage bosser, le lycée c’est un autre niveau“, et au lycée “Vous croyez qu’à l’Uni, les profs seront là pour vous aider?” Durant toute sa carrière scolaire, le jeune est donc sans cesse sous pression. Parents et profs nous disent “Oui mais c’est normal, les entreprises veulent les meilleurs. Si tu es pas AAA, c’est galère“. Ca veut dire quoi les meilleurs?
En août 2020, David Grava, alors dirigeant d’une entreprise de placement de personnel à Saint-Imier nous avait confié “j’ai plein d’exemples de personnes qui ont trouvé un emploi non pas grâce à leurs compétences scolaires mais grâce à leur personnalité. J’ai moi-même engagé une vendeuse pour le traitement de tous les salaires de nos travailleurs. On l’a formée, elle a développé des compétences et grâce à sa personnalité, aujourd’hui elle est autonome et nous donne entière satisfaction.”
Il n’est absolument pas normal que la période qui est censée être la plus belle, marquée par l’insouciance et l’absence de responsabilités, de factures, de rendez-vous compliquée avec son employeur, de mariage, de divorce, etc, devienne un calvaire pour certains enfants.
Se former à l’humilité et à la communication?
Les parents -nous l’avons écrit plus haut – doivent donc être davantage sollicités, informés et formés. A l’heure du tout technologique, de l’omniprésence des écrans, savent-ils par exemple que neuf minutes de dessins animés le matin empêchent les enfants de se concentrer toute une matinée à l’école? Etre parent c’est du job. Qui dit job, dit formation… Il faut donc avoir l’humilité de reconnaître ses failles et de se former, de se renseigner, de poser des questions, de demander de l’aide. Les outils sont-ils suffisamment nombreux et validés pour aider des jeunes parents à s’en sortir parmi les centaines d’injonctions, de courants, d’influences, de publications pseudo-scientifiques sur les réseaux sociaux ou de théories de sac à pain chères à grand-papa Bébért? L’Ecole devrait être ce lieu sécure qui trie, donne des informations vérifiées et qui oriente, guide, questionne, valorise, motive. Y a-t-il un cahier des charges pour parents? Existe-t-il une formation continue? Les parents démunis, parfois se tournent vers les profs, mais ces derniers sont-ils suffisamment armés pour leur répondre? Beaucoup d’entre eux nous ont dit :”Moi je suis là pour enseigner, pas pour éduquer!” Vraiment? La co-éducation n’existe-t-elle pas? L’humilité commanderait aussi aux spécialistes de l’éducation d’avouer humblement face à sa classe “Je n’ai pas toujours raison. Je peux me tromper. Si c’est le cas, dites-le moi et je me formerai” Encore une fois, communiquer, que ce soit ses doutes, ses failles, ses faiblesses, ses erreurs grandissent son auteur.
Attention aux généralités
Evidemment, l’immense majorité des parents et enseignants font bien leurs jobs, mais ni les uns, ni les autres ne sont parfaits et ne maîtrisent un cahier des charges inexistant… Quand un parent déconne, il doit être sanctionné. Quand un professeur déconne il doit aussi être sanctionné. Souvent l’absence d’avertissement ou de sanctions irrite au plus haut point et aussi au sein même de l’établissement. L’impunité rend fou. Un enseignant du secondaire 2 nous confiait récemment “Ca fait des années que j’enseigne. J’ai eu une petite visite au tout début de ma carrière mais depuis plus rien. Il y a des moutons noirs, des je-m’en-foutistes, tout le monde le sait mais personne n’agit et cela nuit à l’image du corps enseignant en entier“. L’un de ses collègues nous confiait ” les élèves m’ont plébiscité pour partir en voyages d’études!” sous-entendu: je suis donc un bon enseignant! Or un bon type ne fait pas un bon prof et un bon prof ne fait pas un bon type! Nous avons tous cet exemple du super pote qui pourtant n’est pas apprécié à sa place de travail. Sans contrôle, sans évaluation, comment le savoir? Et surtout comment l’aider à s’améliorer? A ce propos, pourquoi ne donne-t-on jamais (ou rarement) la parole aux jeunes, pourquoi n’évaluent-ils pas leurs enseignants? Pourquoi ne pas adapter ce qui se fait partout ailleurs, dans les autres corps de métier? L’enfant est au coeur de l’éducation, pourtant on ne lui fait pas la place pour s’exprimer. S’il donnait son avis, aurait-il peur de représailles? Cette peur tenaille en tous les cas une vingtaine de parents qui nous ont affirmé sans détour: “Non, on ne téléphone pas au prof quand il nous semble qu’il a mal agi professionnellement. Pourquoi? Ca risquerait de se retourner contre notre gosse.”
Dans le même ordre d’idée, un papa vadais presque sexagénaire, respectable en tout point, nous a dit en septembre 2022 “Je n’ai pas envie d’aller à la séance de parents, je risque de perdre mes nerfs!” et cette maman quinquagénaire ajoulote d’une adolescente d’affirmer “Je n’aimerais pas être à leur place, mais ils donnent parfois le bâton pour les battre. J’étais en effet très fâchée quand on devait trouver une solution de garde parce qu’ils ne pouvaient pas faire leur formation un mercredi après-midi ou le samedi. Moi je bosse tous les samedis!”
Les dizaines de témoignages récoltés ces trois dernières années tant chez les enseignants que chez les parents laissent apparaître un fossé toujours plus profond. Oui, il y a toujours eu jalousie et médisance, oui il y a toujours eu des tensions, oui les “raitès” ont toujours été un sujet polémique, mais à l’ère de l’ultra communication, au moment où la pression est toujours plus grande, dans une période où l’anxiété gagne du terrain, est-il encore acceptable pour certains-es de jouer à l’autruche, de ne rien changer ou pire de refuser le dialogue? On peut apprendre sans l’école, mais on ne peut pas grandir sans adultes bienveillants.
Epilogue (ouf…)
Et si tout simplement on se mettait tous autour d’une table, calmement, pour parler cadre, cahier des charges, humilité, communication et co-éducation? Comme il n’y a pas de coupable désigné, il doit bien y avoir un moyen de travailler ensemble et mettre la société au service de l’école non?
Auteur/Autrice
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Dessinateur de presse pour La Feuille d'Avis de Courtelary, Bon pour la Tête, Le Journal du Jura, Lausanne Cités et Le Matin Dimanche.
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Une réponse
Belle réflexion. Bravo.