Quel est le point commun entre un enfant suisse romand de 8 ans, un djihadiste saoudien réfugié au Pakistan et un parrain de la mafia calabraise ? Réponse : la CIA sait où ils se trouvent, et n’a a priori aucune intention de les éliminer.
Mais laissons de côté les relations troubles entre les services secrets américains et la criminalité internationale (relation que Nietzsche avait ainsi résumée : “qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt à le laisser en vie”), et intéressons-nous plutôt au flicage des enfants, dont le mobile semble beaucoup moins évident.
En effet, le médecin britannique William Bird a calculé qu’en un siècle, les enfants de 8 ans avaient perdu la quasi-totalité de leur autonomie de déplacement. Là où le chérubin d’antan pouvait aller seul à 8 ou 9 kilomètres de son domicile dans les années 1920, le bambin d’aujourd’hui voit sa zone de liberté réduite à environ 300 mètres. Mieux, toutes sortes de gadgets permettant de géolocaliser notre progéniture (montres intelligentes, blousons connectés, applications sur smartphone) sont en vente libre et connaissent un franc succès.
Pourtant, une étude scientifique de l’Université de Miami montre que les enfants qu’on n’a pas laissés se débrouiller seuls sur le chemin de l’école deviennent de véritables pives en orientation une fois adultes. Sans parler de toutes les expériences que nous-mêmes avons vécues, enfants, dans ce rare espace de liberté qu’est le chemin de l’école, et dont nous privons aujourd’hui nos propres descendants.
Alors, quelle peut bien être notre motivation : une vile cruauté liberticide, ou bien une sincère démence ultrasécuritaire ? Il semble que ce soit la deuxième option : la surmédiatisation des faits divers sordides donne l’impression qu’ils se multiplient, alors qu’en réalité ils se raréfient. Et même si l’on en prend conscience, la pression sociale des autres parents nous empêchera d’affranchir nos enfants et nous-mêmes de cette paranoïa grotesque, sous peine d’être qualifiés de parents indignes, comme cette journaliste new-yorkaise désignée “pire maman d’Amérique” pour avoir avoué dans un article qu’elle laissait son fils de 9 ans prendre le metro seul…
Mais voyons le côté positif : soumettre nos enfants à une télésurveillance permanente les habituera à ce qui les attend une fois arrivés à l’âge adulte.
Loric Roberti
Auteur/Autrice
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Dessinateur suisse domicilié dans la région de Lausanne (Vaud). Réalise dessins de presse, dessins d'humour, illustrations et graphisme.
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